Pour certains photographes, le cliché se suffit à lui-même. Pour moi, bien au contraire, l’écriture creuse l’image, la précise et l’embellit. Je réalise donc des petits photo-reportages intimes, persuadée que tout un à chacun à quelque chose à dire et à montrer.

Aujourd’hui, je vous présente Nine sous la forme d’un petit conte.

Du haut de ses 17 ans, Nine donc. La bouche boudeuse, la moue enfantine. Ça sonne un peu comme une comptine, Nine.

Alors qu’elle ravit les rambardes de la Place de la Canourgue de ses poses langoureuses, mon appareil me dupe et se prend pour une machine à remonter dans le temps. Cet âge où je jouais à la grande avec mon amie d’enfance. Pour nous, « les grandes » c’étaient les lycéennes de Bervely Hills. Je crois que déjà gamine, je m’imaginais en Nine : les cheveux longs, le jean brut, les courbes fines et la démarche élancée. La beauté intemporelle des mannequins des années 80.

Le temps est gris et lourd ce jour-là. Et mon sujet vient ajouter, malgré elle, du romantisme à un tableau qui n’en a pas besoin. Je la shoote près des roses, et j’en fait une caricature de pub de parfum. Nine Ricci… C’est un peu too much ! Elle déborde déjà de poésie, pas besoin d’en rajouter.

La mutine. Parfois, elle pose, souvent elle rit. Elle me raconte ses histoires d’adolescentes entre deux postures avec la légèreté de son âge. Je tente de me concentrer avec l’intention de la shooter dans sa fraîcheur de presque plus gamine. La capturer maintenant, à ce moment précis alors que la vie ne l’a pas encore marqué des plis du temps et affadi son cœur d’enfant.

Sous ses airs de princesse, elle a la tête bien faite. Elle se voit à Sciences Pô, peut être un jour, journaliste. Elle aime le pouvoir des mots. Elle me fait rire : elle a apporté dans sa besace du Bon Marché, Les Fleurs du Mal, son recueil de poèmes préféré qu’elle a emprunté à la bibliothèque de son lycée. Avec son petit béret, une vraie mise en scène parisienne ! Il me manque le décor du Café de Flore mais je me contente des marches taguées de la fontaine. Les photos sont clichées mais, qui nous en voudrait ? Ça lui va si bien.

Nine, elle s’en fout. Elle dit les choses sans détour, avec naturel et spontanéité. « Ha ouais, j’aime fumer. C’est déjà trop tard ! ». La fumée de la cigarette m’apparaît alors comme une ombre au tableau, ayant moi-même commencé à être esclave de la nicotine à son âge… Pourtant, je refuse dem’habiller du costume de l’adulte moralisateur. Je me tais, et la shoote la clope au bec. Je crois que c’est une façon pour elle de se sentir plus libre, de noircir en quelque sorte par la cendre son image de petite fille rangée. Puis, bon, La Française fume, c’est de notoriété publique !

Nine, elle aime le monde et être entourée. Je l’installe dans un café de son choix : l’Hybride. Clara, la maquilleuse, efface à grands coups de pinceaux son âge véritable. C’est vrai qu’elle a l’air d’une femme tout à coup.

Je crois bien que sommeille en elle le pouvoir des femmes fatales. Derrière la vitre, de jeunes garçons passent et la chassent du regard dans de grands éclats de rire que les ados ne se permettent qu’en groupe. Le courage du nombre….Elle s’en amuse sans exagérer. Un vrai jeu d’enfant…

A mon tour, je sors du brouhaha du café et prends la place de ces gamins cavaleurs à peine sortis du nid. Je crois shooter, à cet instant, la naissance d’une jeune femme.

« Je pris soudain conscience que je ne savais absolument rien des pensées de ma doucette et que derrière ses affreux clichés juvéniles, il y avait peut-être en elle un jardin et un crépuscule, et la porte d’un palais – des régions sombres et adorables dont l’accès m’était totalement et lucidement interdit (…) ». J’emprunte innocemment à Nabokov, un passage de sa Lolita. « J’ai un côté très dark, tu sais. Ca se traduit dans mes dessins », m’explique Nine, sans en dire davantage. Elle reste assez mystérieuse Nine de rien. Et au lieu de prendre la mouche face à mes questions insistantes qui restent sans réponses, elle prend plutôt la mine et se met à griffonner machinalement. 

Plus de pose, plus d’enfant ni de femme. Elle disparaît sous ses cheveux en position d’écolière en examen. J’observe et vient perturber, par le déclic de mon appareil-photo, elle et son imaginaire au bout du crayon. Alors, de temps en temps, elle lève la tête.

Le shooting est terminé mais la Nine en noir et blanc semble s’être évaporée dans un monde qui me reste, encore à ce jour, inconnu. Je me penche pour découvrir l’esquisse. J’examine attentivement. Tiens ! Un monstre à deux têtes ! Un Cerbère qui garde ses secrets de nymphe ou la métaphore inconscience d’elle-même ? Nine ne le saura.

Fin de l’hïstoire.

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